Rédactrice en chef d’Urbania jusqu’en 2018, animatrice, auteure et chroniqueuse, Rose-Aimée Automne T.Morin ne chôme pas. Pour Vallier, elle discute de son parcours, de ses doutes et inspirations, de sa vision de la mode responsable, et de la femme qui se cache derrière cette panoplie de titres et de réalisations.
Vallier rencontre: Rose-Aimée Automne T.Morin
Regard sur la société/travail
Quelles sont tes préoccupations sociales et que fais-tu pour y remédier?
Rose-Aimée Automne T.Morin : J’ai tendance à analyser la vie à l’aide d’un filtre féministe. L’égalité des genres - et l’égalité en général -, c’est quelque chose qui me touche beaucoup, et j’aime tendre le micro à des personnes qui cherchent à réinventer le monde. On a tous et toutes le pouvoir de transformer la vie des gens qui nous entourent, et c’est un privilège de le faire.
J’utilise ma tribune afin de mettre en lumière ces questions. Ça apporte plus de visibilité; on parle donc de plus d’argent, plus de bénévoles, plus de rayonnement. C’est ce que je peux faire.
Il y a quelque temps, tu as réalisé la série documentaire «Comment devenir une personne parfaite». Arrives-tu maintenant à te détacher de cette idée-là?
R-A : Ce projet-là, c’était pour dénoncer le trouble de la perfection qui caractérise beaucoup notre génération. Plus on avance, plus on a cette pression énorme de réussir tout ce qu’on entreprend, et d’avoir peur d’échouer si l’on n’est pas tout de suite bon ou bonne. J’en ai fait une caricature afin de montrer à quel point cette pression-là commence à être tout simplement invivable.
Et malheureusement, je me suis laissée prendre au jeu. À force d’appliquer tout ce que les scientifiques, les chercheurs, les psychologues, les neuropsychologues me disaient de faire à longueur de journée, c’est comme si j’en étais venue à embrasser le besoin de perfection plutôt que de le dénoncer. Ça a pris une bonne année de désintox pour arrêter de me sentir mal parce que mon assiette n'était pas composée uniquement de légumes verts ou de ne pas m’en vouloir parce que je n’avais pas fait de sport cette journée-là.
Où je me situe maintenant… Je suis désormais très loin de mon ancien besoin de perfection - mais c’est plutôt en raison de la pandémie qu’autre chose! Rester chez soi, à l’abri du regard des autres, ça change la donne. La pression d’être bonne, belle, brillante, elle s’est évaporée tranquillement. J’ai réalisé qu’il y avait tellement plus grave; des gens qui décèdent, d’autres qui donnent le virus au reste du monde. Ces questions ont rendu ma quête de la perfection un peu dérisoire. Le mot est mal choisi, je n’ai pas choisi cette quête, mais les problèmes du monde m’ont aidé à la guérir.
Tu écris des chroniques dans La Presse, dans lesquelles tu vas à la rencontre des gens, tu cognes aux portes, tu poses beaucoup de questions, tu es curieuse - d’où vient cette envie d’aller à la rencontre de l’autre?
R-A : J’aime les gens, je les aime pour vrai! Ça ne me demande aucun effort. Tout le monde a des histoires à raconter, mais ce n’est pas tout le monde qui sait écouter. C’est pourtant ce que j’aime faire: je vais m’asseoir avec eux comme si je leur disais, «je n’ai rien d’autre à faire aujourd’hui que de t’écouter». Je trouve ça absolument merveilleux de pouvoir faire sentir les gens spéciaux, même si je ne comprendrai sans doute pas tout ce qu’ils me diront. C’est une richesse aussi, de découvrir que certains vivent dans des univers complètement différents, et qui sont tellement plus brillants et impliqués que moi. Ça m’inspire énormément.
Regard sur la mode
En mode, qui est ta plus grande idole (ou ta fashion icon) de tous les temps ?
R-A : Bonne question. J’aime tous ceux qui s’en foutent et qui portent ce qu’ils veulent. Je ne m’habillerais jamais comme Hubert Lenoir, mais je trouve absolument génial ce qu’il fait. Que c’est beau, que c’est créatif! J’adore les costumes aussi, comme Pierre Lapointe qui se présente chaque fois sous une nouvelle identité cohérente avec son album de l’heure, toujours avec une grande élégance.
J’aime beaucoup La Bronze, qui va porter des décolletés tout simplement hallucinants, sans se soucier le moins du monde des normes. En général, les artistes qui s’amusent avec les vêtements, mais qui en font à leur tête, m’inspirent beaucoup. J’aime le côté féminin de la chose. J’aime porter des robes qui dérangent, qui font tourner les regards. Je n’ai pas honte de montrer mon corps.
L’écoresponsabilité est très importante aussi. J’ai la chance de pouvoir acheter québécois depuis plusieurs années. Je ne tombe pas dans la fast fashion, mais je reste consciente qu’il s’agit d’un privilège. J’en profite donc pour encourager la mode locale, responsable et surtout, qui n’est pas faite par des enfants.
Comment décrirais-tu ton style ?
R-A : Il est quelque part entre le confort et l’hyperféminité. Si vous me voyez porter une robe de bal pour désosser un poulet, c’est normal! Je suis aussi du genre à monter le Mont-Royal avec un décolleté pas possible… Mais j’aime aussi porter des vêtements de skateboard, parce que je suis en train d’apprendre à en faire et je trouve cool d’entrer dans un tout autre univers.
Quelle est ta pièce incontournable de la collection Vallier ?
J’adore la robe issue de la collaboration avec Armor Lux, ainsi que l’ensemble agencé composé de la chemise Riverdale et du short Niagara.
R-A : De façon générale, je trouve que Vallier propose de beaux vêtements, et j’aime que la marque soit à ce point alignée avec mes valeurs personnelles. Je trouve important d’encourager les entreprises locales, celles qui s’efforcent de fabriquer leurs pièces de manière responsable. Je le répète: je sais que j’ai le luxe de le faire, et j’en suis très consciente.
Regard sur la personne
Qui a été ta plus grande influence (à la fois sur le plan professionnel et personnel)?
R-A : Mon père. Il m’a élevée comme un projet, pour le meilleur et pour le pire, en voulant faire de moi une femme qu’il considérait comme parfaite. Il y a bien des aspects de ma personnalité que je n’ai pas choisis, certains encore que j’aurais sans doute fini par choisir et cultiver par moi-même au fil du temps si on m’en avait donné la liberté.
J’ai été modelée par un père qui voulait que je prenne de la place, peu importe les milieux dans lesquels j’évoluerais, et c’est évident que cet aspect-là a eu un énorme impact sur ma personnalité.
Ensuite, sur le plan professionnel, j’ai eu la chance d’avoir beaucoup de gens qui m’ont tendu la main, offert des chances et ouvert des portes au moment où j’en avais besoin. Je suis redevable à tellement de monde… et beaucoup de femmes, en fait!
Tu as un parcours assez impressionnant - Rédactrice en chef du magazine URBANIA, animatrice de balado (Ohdio) et d’une série documentaire sur Vero.TV, chroniqueuse à On dira ce qu'on voudra sur ICI Première, à On va se le dire à ici ICI Radio-Canada, et à Esprit critique sur ICI Artv. Tu as écrit deux livres, tu écris pour La Presse. De quoi tu as envie maintenant?
R-A : D’un congé! (rires). Franchement, je sais à quel point je suis chanceuse. Je ne suis pas arrivée par moi-même à tous ces beaux projets-là. C’est toujours des gens à qui je faisais confiance qui m’ont dit « je te verrais bien écrire un livre! » ou autre chose. Moi qui n’avait au départ jamais écrit de ma vie, qui était recherchiste télé, je me suis dit: ok, pourquoi pas?
Quel est le pire qui puisse arriver? Que je ne sois pas douée, finalement. Et franchement, il ne peut rien se passer de grave! Au pire, je deviendrai virale pendant quelque jours parce que j’aurai fait une chronique dans laquelle je me serai mise les pieds dans les plats en disant quelque chose d’horrible sans m’en rendre compte. Mais la vie va suivre son cours.
On a parfois l’impression que nos erreurs vont nous suivre toute notre vie, mais ce n’est pas le cas. Personnellement, je veux continuer de ne pas trop me soucier de ce que les gens pensent de moi, et passer le micro à des gens qui ne sont pas entendus - alors qu’ils le devraient.
Quel conseil donnerais-tu à ton younger self?
R-A : Aller prendre plus de marches! C’est vrai, une petite promenade en forêt, ça aurait pu apaiser mon anxiété… J’avais besoin de sortir de mon milieu, de moi-même, de ma tête. Une marche, c’est simple, et ça règle beaucoup de choses.
Mon autre conseil pour la jeune Rose: ne pas avoir peur d’essayer. J’ai appris à faire du vélo dans la trentaine, à faire de la planche à roulettes l’été passé, du ski de fond cet hiver… Toutes ces activités qu’on apprend normalement quand on est enfant, et que j’avais trop peur pour entreprendre quand j’étais ado. Et pourtant: c’est tellement le fun! Ça aurait été génial de les découvrir plus tôt.